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Le retail signe un retour en force… tout en finesse

Le secteur du commerce connaît une reprise contrastée : certains formats performent, d’autres peinent à suivre. Pour les investisseurs, le succès ne repose plus uniquement sur le choix des actifs, mais aussi sur la manière dont ils sont gérés au quotidien.

Marie Hickey
Director, UK Commercial Research

Oliver Salmon
Director, Savills World Research

Si les acteurs du commerce mondiaux ont prouvé une chose ces vingt dernières années, c’est leur incroyable agilité et résilience. La croissance du e-commerce, la crise financière mondiale, la pandémie, la pression sur le pouvoir d’achat, les événements climatiques extrêmes et l’incertitude géopolitique ont tous menacé de déstabiliser le secteur. Pourtant, le commerce a su s’adapter et, dans certains marchés, prospérer.

La vague de fermetures de magasins tant annoncée ne s’est pas matérialisée. Au contraire, avec la révision à la baisse des loyers, de nombreux commerçants étendent à nouveau leur réseau de points de vente, entraînant un retour à la croissance des loyers dans plusieurs emplacements retail prime. Résultat : les plus grands investisseurs immobiliers mondiaux portent désormais une attention accrue à un secteur longtemps délaissé.

L’Amérique du Nord illustre parfaitement cette tendance de reprise. Selon la société d’analyse de localisation Placer.ai, la fréquentation des centres commerciaux américains a augmenté d’environ 1,5 % en 2024 par rapport à 2023, et de 7,3 % par rapport à 2019. Et, malgré la croissance continue des ventes en ligne, près de huit consommateurs sur dix dépensent toujours leur argent en magasin, d’après les données du Département du Commerce des États-Unis.

« Les acteurs du commerce ont fait preuve d’une résilience remarquable face à la volatilité économique mondiale », déclare Sam Foyle, Directeur et Co-Responsable du Prime Global Retail chez Savills. « Le taux de vacance dans le commerce de détail aux États-Unis est à un niveau historiquement bas, à 4,7 %. Une forte demande sur tous les segments — discount, beauté, athleisure, luxe, sport et mode — a soutenu cette croissance. Cela dit, certaines marques internationales ralentissent ou suspendent leur expansion aux États-Unis en raison de la volatilité mondiale accrue, et se tournent vers le Canada pour renforcer leur présence régionale. »

Lors du NRF Big Show organisé à New York en janvier, les dirigeants de Lululemon, Foot Locker et Sephora ont présenté leurs plans d’expansion à l’international. Autre signe fort de confiance dans le secteur, le géant immobilier Unibail-Rodamco-Westfield a inauguré en avril 2025 son centre commercial intégré au vaste projet HafenCity à Hambourg, en Allemagne.

Cette nouvelle dynamique d’investissement et de développement est portée par la demande des enseignes. Cependant, la situation demeure complexe. Tout comme tous les acteurs du commerce n’ont pas su relever avec succès les défis récents, tous les actifs commerciaux ne sont pas non plus à l’abri des tendances qui transforment le secteur.

En Amérique du Nord, par exemple, Bed Bath & Beyond, Big Lots, Joann, Hudson’s Bay Company et Forever 21 ont tous déposé le bilan sous le chapitre 11 — certaines ont ensuite été acquises, d’autres non. Comme l’a souligné Steve Sadove, figure emblématique du retail américain et ancien CEO de Saks Fifth Avenue, lors du NRF Big Show : « Ce qui devient évident, c’est qu’il y a des gagnants et des perdants. Mais l’idée que le commerce physique est mort et qu’il est devenu un jeu purement digital est erronée. »

 

Comment les enseignes font face à l’incertitude macroéconomique

Le principal défi auquel le secteur reste confronté est la volatilité de l’environnement économique et géopolitique mondial. Une réalité qui impacte à la fois les commerçants et l’immobilier, et qui échappe au contrôle même des investisseurs les plus actifs et stratèges.

Pourtant, le contexte macroéconomique sous-jacent a globalement soutenu le retail : baisse des taux d’intérêt, faible niveau de chômage dans de nombreuses régions du monde, regain de confiance des ménages, reprise du tourisme international, sans oublier la revalorisation des loyers et des actifs commerciaux dans plusieurs marchés. Mais les premiers mois de 2025 ont également vu réapparaître des épisodes de volatilité.

Les difficultés passées liées aux chaînes d’approvisionnement ont poussé les enseignes à renforcer leur résilience logistique, à relocaliser partiellement ou diversifier leurs sources d’approvisionnement, et à adopter des technologies visant à améliorer leur efficacité. La montée en puissance des ventes en ligne a favorisé une meilleure intégration des canaux digitaux, les magasins jouant désormais des rôles multifonctionnels : showrooms, hubs logistiques ou points de retour. Beaucoup explorent également de nouvelles sources de revenus, comme la vente d’espaces publicitaires aux marques via des écrans ou la radio en magasin. Résultat : l’investissement dans les points de vente est de plus en plus perçu comme une opportunité.

De nombreuses enseignes ont déjà démontré leur résilience et leur capacité à s’adapter à l’évolution des conditions de marché. Certaines marques émergentes ou moins connues pourraient même profiter de ces périodes de disruption pour bousculer les acteurs établis, tandis que des pure players comme Gymshark y voient l’opportunité de tester le commerce physique. La marque britannique de vêtements de sport a déjà ouvert plusieurs points de vente au Royaume-Uni, notamment sur Regent Street à Londres, et prévoit d’autres ouvertures à Dubaï, Amsterdam et New York.

 

Les enseignes prennent les devants, les investisseurs suivent.

Nombre d’investisseurs restent encore échaudés par leurs précédents engagements dans le secteur du retail, souvent associés à des actifs dépréciés et des pertes importantes. Selon l’enquête Investment Intentions d’ANREV, la part des allocations institutionnelles mondiales destinées au commerce devrait atteindre 12,4 % en 2025, contre 27,7 % en 2018.

Mais les investisseurs commencent à reconsidérer le secteur. En 2024, les volumes d’investissement sont restés globalement stables, avec une dynamique qui s’est renforcée au second semestre.

Porté par quelques transactions emblématiques, l’immobilier commercial attire une part croissante de capitaux institutionnels. Les retail parks et zones commerciales en périphérie ont mené cette reprise — probablement en raison de leur caractère défensif et de leur complémentarité avec les stratégies omnicanales.

Parallèlement, la revalorisation des actifs a ouvert des opportunités intéressantes pour les investisseurs. Les taux de rendement sont particulièrement attractifs comparés à ceux d’autres secteurs prisés comme le résidentiel ou la logistique, qui nécessitent une croissance continue des loyers pour être rentables et dont les prix sont relativement élevés en raison de l’abondance de capitaux ciblant ces segments.

Ces tendances se reflètent dans la dernière enquête Investment Intentions d’INREV, qui met en évidence un regain significatif d’intérêt des investisseurs pour le retail en 2025.

Les grands acteurs revoient peu à peu leur position. En 2024, Hines a annoncé publiquement son retour sur le marché de l’immobilier commercial, estimant que le « bon » et le « mauvais » retail avaient été injustement mis dans le même panier. De son côté, Westfield a choisi de réduire la taille de son portefeuille de centres commerciaux aux États-Unis plutôt que de le vendre.

« L’incertitude mondiale a entraîné un certain ralentissement sectoriel en Europe, mais la quête des emplacements prime se poursuit, avec des enseignes toujours à la recherche des meilleures localisations et opportunités », déclare Larry Brennan, Head of European Retail Agency chez Savills. « L’optimisation des surfaces reste également une tendance forte, générant à la fois de l’activité et de nouvelles opportunités. »

« Les secteurs de référence demeurent le sport, l’athleisure et la mode à prix accessible, qui continuent de générer les volumes de transactions les plus importants. Le segment des retail parks reste lui aussi particulièrement résilient, avec une disponibilité limitée sur la plupart des marchés et une demande très soutenue. »

Au Royaume-Uni, les retail parks se démarquent particulièrement en tant que sous-secteur. Leur transition progressive d’une offre centrée sur les produits volumineux et l’ameublement leur a permis de diversifier leur base de locataires, en intégrant des services comme des salles de sport, ainsi qu’une meilleure offre de restaurants et de cafés. Ils attirent également de grandes enseignes de mode, à l’image de Next, l’un des premiers détaillants à avoir délaissé les rues commerçantes traditionnelles au profit des retail parks en périphérie.

 

Europe et Asie-Pacifique : les secteurs préférés des investisseurs en 2025

Source: INREV/ANREV Etude sur les intentions d’investissement 2025

 

En Espagne, une croissance du PIB de 3,2 % en 2024 — soutenue par une consommation intérieure dynamique, des investissements privés résilients et un regain du tourisme — a créé un contexte favorable à l’investissement dans les centres commerciaux. Ceux-ci ont totalisé 1,1 milliard d’euros (1,2 milliard de dollars) en 2024.

« Les taux de rendement prime restent très attractifs, oscillant entre 6,5 % et 7,25 %, portés par une solide croissance des ventes au détail, une fréquentation en hausse et une stabilisation des valeurs foncières », explique Luis Espadas Cestero, Directeur Exécutif, Responsable Retail chez Savills Espagne. « Les banques manifestent également un regain d’appétit pour le financement des actifs commerciaux, ce qui dynamise encore davantage le marché. Avec des valeurs foncières souvent inférieures aux coûts de remplacement et un pipeline de nouveaux développements limité, l’offre reste contraint, créant des conditions favorables pour les actifs existants. »

 

Le retail comme immobilier opérationnel

Si le manque de nouveaux développements aux États-Unis et en Europe est a priori une bonne nouvelle pour la valeur des actifs commerciaux existants, cette reprise nuancée exige une sélection rigoureuse des actifs par les investisseurs. Les centres commerciaux prime emblématiques ainsi que des sous-secteurs spécialisés tels que les retail parks et les outlets continuent généralement de bien performer.

En revanche, la création de valeur sera bien plus difficile dans les destinations secondaires – par exemple, dans des zones dominées par une rue commerçante principale ou un super-centre régional – sans une reposition importante. Les investisseurs doivent analyser attentivement les raisons pour lesquelles un actif rencontre des difficultés, et déterminer si celles-ci sont liées à un manque de dépenses en capital ou à des fondamentaux structurels.

Il est tout aussi important de reconnaître que le retail ne peut plus être considéré comme un simple investissement passif, mais doit être traité comme de l’immobilier opérationnel. Les destinations commerciales nécessitent désormais une gestion active des actifs, des investissements pour leur renouvellement et leur évolution, fondés sur une connaissance approfondie des clients, ainsi qu’un marketing ciblé pour positionner les centres en fonction de leurs bassins de clientèle.

Au-delà des besoins des locataires, les propriétaires doivent comprendre pourquoi les consommateurs fréquentent un centre commercial, une rue commerçante ou un retail park. L’approche standardisée des années 1980 et 1990 ne suffit plus. Les consommateurs recherchent aujourd’hui du choix et de l’authenticité, avec un mélange de grandes enseignes, de commerces locaux indépendants, de bars et de restaurants.

En 2025, le retail est de retour — mais pas tout le retail. La reprise du secteur se caractérise par une forte divergence selon les types d’actifs, les emplacements et les modes de gestion. Comprendre quelles sont les différences entre ceux qui prospéreront dans un contexte économique et politique en constante évolution — et ceux qui ne le feront pas — est essentiel pour la nouvelle génération d’investisseurs à la recherche d’actifs commerciaux.

 

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