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Les centres d’excellence, moteur de la compétitivité internationale

Paul Tostevin
Director, Savills World Research

Les entreprises sont confrontées à une pénurie de talents et à une hausse des coûts. Les centres d’excellence (ou centres de compétences) émergent comme une solution stratégique, offrant à la fois innovation, croissance et efficacité opérationnelle.

Il devient de plus en plus difficile pour de nombreuses entreprises de trouver les talents dont elles ont besoin pour se développer. Le chômage atteint des niveaux historiquement bas dans de nombreuses économies occidentales, tandis que des facteurs structurels tels que le vieillissement de la population et la faible croissance de la productivité aggravent la situation.

Les mutations technologiques rapides transforment également le paysage des compétences. Dans une récente enquête menée par Savills et CoreNet Global, 63 % des entreprises interrogées ont indiqué une diminution de la disponibilité des talents au cours des trois dernières années.

Alors, comment les entreprises peuvent-elles relever ces défis ? Les centres d’excellence mondiaux (Global Capability Centres – GCC) — des structures internes appartenant à des multinationales, souvent implantées dans des zones à moindre coût — représentent une réponse stratégique. Selon la même enquête, 49 % des répondants déclarent qu’ils envisagent actuellement de mettre en place des opérations de ce type.

En exploitant les viviers de talents à l’échelle mondiale, souvent à des coûts nettement inférieurs, les entreprises peuvent accéder aux compétences dont elles ont besoin. Le modèle des centres d’excellence est de plus en plus perçu non seulement comme un moyen de réduction des coûts, mais aussi comme une stratégie pour renforcer la résilience de l’entreprise et pérenniser ses activités.

Comment les entreprises exploitent-elles les viviers de talents mondiaux ?

 

L’Inde en tête des centres d’excellence

L’Inde se distingue comme leader mondial des GCC, avec plus de 1 700 centres employant 1,9 million de professionnels. La majorité fait partie d’entreprises basées aux États-Unis, suivies par des sociétés européennes.

Le succès du pays pour attirer les GCC repose sur son important vivier de talents dans les domaines STEM (science, technologie, ingénierie et mathématiques) et sur la maîtrise généralisée de l’anglais. L’Inde forme chaque année plus de 2,2 millions de diplômés.

Le soutien gouvernemental a également joué un rôle clé. Des zones économiques spéciales (ZES) ont été créées, offrant des avantages fiscaux et une simplification des procédures réglementaires, tandis que certains États ont mis en place des politiques favorables aux GCC.

Les GCC indiens attirent fortement les talents, offrant généralement des salaires supérieurs à ceux des entreprises locales ainsi que de fortes opportunités de développement de carrière. Ils ont tendance à se regrouper dans des villes correspondant à leur secteur d’activité, par exemple la technologie à Bengaluru et les services financiers à Mumbai.

Bengaluru est le plus grand centre de GCC en Inde, représentant 38 % de l’ensemble des surfaces de bureaux occupées par les GCC depuis 2020, suivie par Hyderabad, Pune, Chennai, Delhi-NCR et Mumbai. Ensemble, ces six villes ont enregistré une occupation de bureaux par les GCC de 130 millions de pieds carrés au cours des cinq dernières années.

Les villes de niveau II et III attirent de plus en plus de GCC grâce à des coûts plus faibles, des incitations ciblées et des viviers de talents jusqu’alors inexploités. Par exemple :

  • Franklin Templeton a établi un GCC à Visakhapatnam, tirant parti de la connectivité de la ville et de son écosystème IT en croissance pour se concentrer sur la résilience opérationnelle.
  • Kraft Heinz a choisi Ahmedabad en raison de politiques étatiques favorables et d’un écosystème de start-ups émergent.
  • Synopsys a mis en place un GCC axé sur la recherche à Bhubaneswar, spécialisé dans l’électronique et la conception de semi-conducteurs.

Le secteur évolue rapidement en Inde. Arvind Nandan, Director Research and Consulting, Savills India déclare : « Les infrastructures vertes, les modèles de travail hybrides et le choix stratégique des emplacements caractériseront la prochaine vague d’expansion des GCC. En Inde, l’immobilier des GCC n’est plus uniquement perçu comme un coût, mais comme un investissement permettant aux entreprises d’attirer des talents et d’innover. »

D’autres marchés asiatiques tels que les Philippines, la Malaisie, le Vietnam et la Chine accueillent également des GCC. En Europe, les GCC se concentrent surtout en Europe de l’Est, avec la Pologne en tête, principalement dans les villes de Varsovie, Cracovie, Wrocław et la Tricity. Dans la région, la République tchèque, la Hongrie, la Roumanie et les pays baltes sont également des destinations clés, tandis que le Portugal constitue un emplacement important à l’ouest. L’alignement réglementaire représente un avantage lorsqu’il s’agit de servir d’autres entreprises basées dans l’UE.

En Amérique, le Mexique est un choix stratégique pour les entreprises américaines en raison du fuseau horaire similaire, aux côtés de l’Argentine, du Chili, de la Colombie et du Brésil. En Afrique, l’Afrique du Sud et l’Égypte sont des marchés notables, offrant des économies de coûts et une proximité avec les fuseaux horaires européens.

Des coûts salariaux et immobiliers plus faibles, un moteur clé

Le coût reste un facteur déterminant dans l’adoption des GCC. Les salaires pour les postes débutants dans les domaines STEM et le support client sur les marchés des GCC sont en moyenne 73 % moins élevés que dans des villes comme New York ou Londres.

L’Inde offre les salaires annuels moyens les plus bas : environ 9 400 $ pour un diplômé STEM et 4 000 $ pour un agent de support client, soit une économie de 86 % par rapport à Londres et New York. Cependant, les salaires varient fortement à l’intérieur du pays, allant de 14 000 $ à Bengaluru, ville axée sur la technologie, à 4 500 $ à Gurugram.

Salaires dans les marchés d’excellence

Les coûts immobiliers suivent une tendance similaire. Les coûts de bureaux sur les marchés des GCC (loyer, charges et taxes inclus) s’élèvent en moyenne à 25 $ par mètre carré, soit 75 % de moins que dans les grandes villes mondiales. L’Inde reste la localisation la plus rentable, avec des coûts moyens de bureaux de 16 $ par mètre carré, 85 % inférieurs aux espaces prime de Londres et New York.

Malgré l’accent mis sur la réduction des coûts, les GCC recherchent des bureaux de haute qualité, idéalement situés dans des quartiers d’affaires bien connectés ou des parcs d’affaires. C’est une tendance de plus en plus marquée dans la capitale polonaise, Varsovie, comme l’explique Wioleta Wojtczak, Head of Research Savills Pologne : « Historiquement, les GCC choisissaient souvent des emplacements hors centre, principalement en raison des coûts plus faibles. À mesure que la demande et les projets de développement se sont concentrés sur le centre de Varsovie, de nombreux GCC ont suivi la tendance, installant leurs bureaux dans des bâtiments prime et centraux afin de proposer des environnements de travail de haute qualité, capables d’attirer et de fidéliser les meilleurs talents. »

En Inde, la majorité des GCC se trouvent dans des parcs d’affaires, souvent situés au sein de zones économiques spéciales (ZES). Ces emplacements offrent un bon accès aux infrastructures (crucial dans les environnements urbains congestionnés en Inde) ainsi qu’un vivier abondant de talents, avec des logements abordables pour les accueillir.

La durabilité devient un facteur différenciant de plus en plus important. Les nouveaux campus de GCC en Inde sont construits selon les normes LEED Platinum, tandis que les centres européens exigent souvent une alimentation 100 % renouvelable, en ligne avec les attentes des employeurs engagés souhaitant attirer les meilleurs talents.

Coûts des bureaux de GCC, en USD par pied carré et par an

L’avenir : les centres d’excellence deviennent plus stratégiques

La nature et les activités des GCC évoluent : ils ne se limitent plus au simple support back-office. Ils deviennent des centres stratégiques d’innovation, stimulant la croissance des entreprises grâce à des fonctions à forte valeur ajoutée telles que la R&D, la gestion de la chaîne d’approvisionnement, l’analytique et l’IA.

Cette montée dans la chaîne de valeur les protège en partie des impacts les plus disruptifs de l’IA. Parallèlement, l’IA générative transforme les capacités des GCC, conduisant à la création de laboratoires d’IA dédiés qui améliorent l’efficacité opérationnelle par l’automatisation des processus, stimulent l’innovation et facilitent la prise de décision.

Même sur des marchés riches en talents, la concurrence pour les professionnels qualifiés dans des domaines comme l’IA ou l’informatique quantique reste intense. Les GCC répondent à ce défi en partenariat avec les universités, en proposant des programmes extrascolaires et en cultivant les talents dès le départ, reflétant une tendance plus large vers le recrutement basé sur les compétences et les stratégies de rétention à long terme.

Ils reflètent généralement la culture d’entreprise de leur société mère, en favorisant le développement de carrière et les opportunités d’apprentissage – un facteur clé pour attirer et fidéliser les talents sur des marchés compétitifs.

Les évolutions des cadres réglementaires, notamment en matière de protection des données et d’IA, constituent un enjeu croissant. L’alignement politique et la stabilité dans un contexte mondial fragmenté sont également des facteurs à prendre en compte.

Cependant, face aux pénuries persistantes de talents, à la réduction des effectifs et au resserrement des politiques migratoires dans les marchés occidentaux, les centres d’excellence continueront de jouer un rôle stratégique essentiel pour accéder aux compétences dont les entreprises ont besoin pour prospérer.

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